Histoire


Crosse: Sport national d'été du Canada

«D'après nous, les deux sports nationaux du Canada, la crosse et le hockey, sont les meilleurs outils de développement moral et physique parmi tous les jeux connus dans le monde sportif.»
A.E.H. Coo, président de l'Association canadienne de crosse
Le 12 avril 1926
Révisé en janvier 1995

REMERCIEMENTS

Crosse Canada souhaite remercier l'Association des gymnastes amateurs de Montréal de son aide et de son soutien dans la recherche relative à ce document.

Nous tenons aussi à remercier le Temple de la renommée de la crosse canadienne de New Westminster en Colombie-Britannique, ainsi que les Archives publiques du Canada à Ottawa qui ont fait preuve de tant de soins et de dévouement dans leur appui à la préservation de notre patrimoine.

Un gros merci aussi à Mike Mitchell, directeur du North American Indian Travelling College pour sa précieuse contribution.

PRÉFACE

Les racines de notre pays proviennent de nombreux sols culturels, et la croissance de la société canadienne  a bénéficié de l'apport de peuples venant de nombreuses origines culturelles différentes. Les Anglais et les Français sont reconnus comme étant les influences dominantes de la création de ce pays et de la fondation de notre nation.

Bien avant que les Anglais, les Français et les nombreux autres immigrants vers notre continent s'épanouissent et rivalisent pour bâtir le Canada, les sociétés et les cultures autochtones avaient la suprématie en Amérique du Nord. Malheureusement, les Canadiennes et les Canadiens connaissent très mal la nature et la complexité des sociétés des Premières nations. Et ils comprennent et apprécient encore moins les rituels et les activités de ces cultures.

La crosse, à cause de son histoire unique, représente un lien entre ces composantes diverses de la société canadienne. C'est encore aujourd'hui un des rares exemples d'un élément de la culture autochtone qui a été accepté et adopté par la société canadienne. Les notions européennes de structure et de règlements ont été ajoutées aux rituels religieux et sociaux des premiers Nord-Américains. Cette symbiose a produit un des premiers symboles du nouveau Canada : la crosse. «On a beaucoup spéculé au sujet de l'origine du jeu de crosse, mais cette question a peu d'importance aux yeux des Autochtones d'Amérique du Nord. En effet, nous ne nous inquiétons pas de savoir qui a inventé le jeu de crosse, ni où et quand, car nos ancêtres jouent à ce jeu depuis des siècles - pour le Créateur.» (extrait de Tewaarathon, le récit d'Akwesasne de Notre jeu national autochtone: North American Indian Travelling College, 1978)


LA CROSSE «UN DON AU PEUPLE DU CANADA»
par Mike Mitchell, directeur du North American Indian Travelling College

Le jeu de crosse est une des plus importantes contributions de nos peuples autochtones au Canada. Et il est diffusé dans le monde entier.

Les colons européens qui se sont installés au Canada ont découvert que toutes les nations et tribus du pays jouaient d'une manière ou d'une autre à la crosse, qui avait divers appellations selon les tribus.

Ainsi, les deux plus grandes familles linguistiques du Canada appelaient la crosse différemment : les Algonquins la nommaient «Baggataway», tandis que la nation iroquoise l'appelaient «Tewaarathon».

Le bâton que les Autochtones utilisaient pour jouer à ce jeu rappelait aux premiers colons français la crosse de leurs évêques, si bien qu'ils ont commencé à appeler ce jeu la «crosse», nom sous lequel tout le monde connaît maintenant ce sport.

À l'origine, alors que seuls les peuples autochtones jouaient à ce jeu, la crosse avait une influence spirituelle sur le mode de vie autochtone. En effet, il y jouaient pour leur Créateur, pour remercier le Grand esprit de leur avoir donné une vie pleine et sereine, en harmonie avec la nature et en paix avec eux-mêmes.

On jouait aussi à la crosse pour des membres honorifiques de la nation autochtone, pour dire au Grand esprit qu'ils étaient reconnaissants que cet ancien, ou ce sorcier guérisseur aux immenses connaissances, vive parmi eux.

Contrairement à la croyance populaire, pendant les premiers temps, on faisait une partie de crosse pour régler un différend entre deux tribus. Quand deux nations autochtones avaient un désaccord, leurs dirigeants et leurs anciens arrangeaient une partie de crosse dont le vainqueur était considéré comme celui ayant le bon point de vue, sanctionné par le Grand esprit.

La crosse faisait partie intégrante de la vie des Autochtones, et elle était un lien spirituel avec leur Créateur. Après leur installation au Canada, les colons ont beaucoup apprécié le jeu de crosse, et il n'a pas fallu longtemps pour que chaque petite communauté du Canada puisse se vanter d'avoir une équipe de crosse. À cette époque, on a fixé les règles concernant le nombre de joueurs dans chaque équipe et la taille du terrain.

Aujourd'hui, du jeu spirituel de nos peuples autochtones, la crosse est devenue un sport excitant et en plein essor, pratiqué dans toutes les provinces du Canada.

On dit souvent, et avec raison, que la crosse est «le sport le plus rapide joué sur deux pieds». De plus, la crosse est un des rares sports de ce pays qui peut se vanter de prendre son origine dans la terre qu'on appelle fièrement le Canada.

HISTOIRE DE LA CROSSE AU CANADA

Personne ne peut contester l'origine de ce sport. En effet, Jean de Brébeuf  a noté en 1683 ses observations d'un jeu de crosse dans ce qui est maintenant le sud de l'Ontario, au Canada. Legs des premiers Nord-Américains aux colons européens, la crosse demeure un des rares volets de la culture autochtone qui a survécu et prospéré sous la tutelle des colons. Les racines de ce sport, qui datent de bien longtemps avant tout document historique écrit, sont profondément enfoncées dans la société nord-américaine en général, et plus particulièrement dans la vie et dans la culture des Autochtones de l'Ontario et du Québec.

«De nombreux siècles avant que l'Homme blanc mette pied sur le continent nord-américain, nos peuples autochtones ont reçu du Créateur le don du jeu de crosse. Même si le genre de bâton utilisé et le type de jeu joué variaient beaucoup d'une tribu à l'autre, la philosophie, l'esprit et la relation de la crosse avec le Créateur étaient uniques, et tous les groupes tribaux tenaient la crosse en haute estime.» (extrait de Tewaarathon, le récit d'Akwesasne de Notre jeu national autochtone: North American Indian Travelling College, 1978).

Dès les début du XIXe siècle, les Montréalais se sont intéressés à cette activité des tribus Mohawks. Les premières parties entre les colons et les Autochtones ont eu lieu dès les années 1840. Ce jeu technique plein d'action a vite passionné les colons locaux, et bien que cela ait pris de nombreuses années avant qu'ils puissent enregistrer une victoire significative contre les Autochtones, les nouveaux Nord-Américains se sont vite montrés intéressés et loyaux vis-à-vis de la crosse.

Dès la fin des années 1850 et le début des années 1860, la crosse avait fait son entrée dans la société sportive de l'époque et les premiers clubs de crosse non autochtones ont vu le jour. Cela a vite mené  à la formation de rivalités et de défis entre les villes, si bien que la fondation compétitive du sport de crosse était née.

On ne peut pas ignorer le rôle des athlètes et des organisateurs de Montréal dans la création de ce sport structuré qui a su capturer l'imagination de cette jeune nation. En effet, ces visionnaires ont adopté le jeu autochtone de crosse dans toute sa beauté, sa technique et son esprit dévoué, et ils l'ont transformé en un sport compétitif qui a conquis les coeurs et les esprits des premiers Canadiens.

La crosse a été déclarée Jeu national du Canada pour la première fois en 1859. Même si on n'a jamais retrouvé les documents officiels du gouvernement, des centaines de références attestent de cet événement, qu'il s'agisse d'encyclopédies renommées, de livres sur l'histoire du Canada, de communications gouvernementales, de livres pédagogiques ou encore d'articles de journaux ou autres documents médiatiques remontant à cette époque.

Par exemple, dans le volume 14 de mai- à octobre 1877 du Scribner's Monthly, on trouve la citation suivante : «Le jeu de crosse, qui a été adopté à titre de Jeu national du Canada le 1er  juillet 1859, premier jour du Dominion....»

On a octroyé ce statut au jeu de crosse dans les années 1800, pas seulement à cause de sa popularité ou de son apport économique, mais aussi parce qu'il a donné une contribution importante et durable à l'histoire et au développement de cette nation, de son peuple, et de sa communauté sportive. En fait, la crosse est connue dans le monde entier à titre de Jeu national du Canada.

SYMBOLE D'UNE NATION

La naissance d'une nation est suivie de peu par le besoin du peuple d'établir son identité et de se proclamer comme nation au reste du monde. Dans son article présenté en 1972 au Symposium sur l'histoire du sport au Canada, Peter Lindsay a déclaré qu'on peut observer que le nationalisme se manifeste de façons prévisibles, et notamment par ses tentatives de retenir l'attention et de promouvoir une identité positive. George Beers, un ardent patriote canadien, a cristallisé cette réalité en ses propres termes et actions, à titre de leader en matière de sport et de science dans ce pays.

Beers comprenait et acceptait clairement le rôle du sport à titre d'élément intégrant les aspects disparates de la nouvelle société canadienne. Son amour pour son nouveau pays exigeait que le sport symbolique par lequel était canalisé ce nationalisme soit un sport entièrement et uniquement canadien. En 1869, il écrivait : «Si la République de Grèce avait une dette envers les Jeux olympiques; si l'Angleterre avait des motifs pour bénir le nom du cricket; alors le Canada avait tout aussi raison d'être fier de la crosse. Partout dans le Dominion, elle poussait la jeunesse à pratiquer un exercice actif et sain; elle a suscité un sentiment populaire en faveur de l'exercice physique, et elle a sans doute fait davantage que tout autre facteur pour insuffler un sentiment patriotique chez les jeunes hommes du Canada; et si un tel sentiment est souhaitable à l'étranger, il l'est sûrement tout autant chez nous.» Les pairs de Beers au sein de la communauté sportive ont accepté ce principe, si bien qu'il se traduisait dans la devise du premier organisme national directeur de sport qui proclamait : «NOTRE PAYS - NOTRE JEU».

La presse de l'époque a également accepté de bon gré ce principe et assuré sa promotion alors qu'elle a fièrement proclamé que la crosse était notre «jeu national». La crosse des donc bien enchâssée très profondément dans l'histoire, la tradition et la culture du Canada.

Alors que notre nation s'étendait d'un océan à l'autre, la crosse a joué un rôle essentiel pour unir ces régions si éloignées les unes des autres. Douglas Fisher, dans son article intitulé «Le sport à titre de culture» a examiné comment le sport a contribué à unifier notre pays. En 1885, le gouvernement a envoyé des troupes, par l'entremise du chemin de fer récemment achevé, pour écraser la rébellion de Louis Riel. La même année, une équipe de crosse de New Westminster a emprunté le même chemin de fer et traversé le pays pour aller défier une équipe de Toronto pour l'octroi du Championnat canadien. Pendant que les réalités politiques déchiraient le pays, la crosse rapprochait diverses parties de la nation.

L'ASSOCIATION CANADIENNE DE CROSSE

Vu leur nature et leurs traditions européennes, le colons très vite ont pensé que le jeu de crosse avait besoin de davantage de structure et de stabilité. Cette transition a pris place pendant les année 1860, en grande partie grâce aux efforts du docteur George W. Beers de Montréal. Son nom demeure d'ailleurs gravé dans les annales du sport canadien car il a été le principal responsable de donner le ton et l'orientation du développement de ce sport dans notre pays, qui se poursuivent aujourd'hui. Cette reconnaissance, bien qu'amplement méritée, ne lui a pas souvent été accordée. Cependant, l'honorable Iona Campagnolo, ministre d'État à la condition physique et au sport amateur, a déclaré dans son Introduction à Sport Canada : une perspective historique : «D'un autre côté, la crosse provient à l'origine de notre pays. Le jeu de Baggataway des Autochtones, déchaîné et pêle-mêle, a été transformé en sport moderne de crosse par un jeune dentiste énergique de Montréal nommé George Beers. «Beers a été notre pionnier bâtisseur du sport.»

En 1867, le club de crosse de Montréal, dirigé par le docteur Beers, a organisé à Kingston, en Ontario, une conférence ayant pour objectif de créer un organisme national chargé de diriger ce sport dans le pays nouvellement formé. Il s'agissait là d'un développement important, alors que l'Association nationale de crosse, ancêtre de l'Association canadienne de crosse, est devenue le premier organisme national directeur de sport en Amérique du Nord complètement dédié à la gouvernance d'un sport, à la normalisation de ses règlements et de ses compétitions, et à l'organisation d'un Championnat national visant à promouvoir une bonne camaraderie et l'unité dans tout le pays.

Le premier symbole du Championnat canadien a été une série de bannières donnés par T. J. Claxton, de Montréal. Les drapeaux Claxton, tel qu'on les appelait, affichaient fièrement la devise de l'organisation «NOTRE PAYS - NOTRE JEU».

ARRIVÉE À LA NOTORIÉTÉ

La croissance de la crosse s'est fait à un rythme phénoménal au cours des années 1880, si bien qu'au tournant du siècle, elle était devenue le sport numéro un au Canada. Fin 1867, il y avait déjà 80 clubs de crosse au Canada. En 1877, il y avait onze clubs à Montréal et sept à Toronto. Il y avait des clubs importants à Ottawa, à Hamilton et à Québec,  et plus de cent autres clubs dans les villes et communautés de l'Ontario et du Québec. (Allen Cox, Histoire du sport au Canada, 1969).

Mais la pratique de ce jeu ne se limitait pas à ces deux provinces. Le Manitoba a rejoint le groupe des provinces où on jouait à la crosse dès 1871, avec des clubs en activité à Fort Garry et à Winnipeg (J. K. Munro, dans le Canadian Magazine, 1902, vol. 19). Les Albertains ont joué à la crosse dès le printemps de 1883 (Edmonton Bulletin  du 31 mars 1883). Puis, le jeu a gagné les provinces de l'Atlantique en 1889 au Nouveau-Brunswick (New Brunswick Reporter du 25 avril 1889) et en Nouvelle-Écosse l'année suivante (Globe and Mail du15 avril 1890). La Colombie-Britannique, depuis longtemps une des forces principales de la crosse, a commencé à jouer à ce jeu au cours des années 1880, et la British Columbia Amateur Lacrosse Association était formée dès 1890. En 1893, la dernière province restante, la Saskatchewan, avait créé ses premiers clubs et était active en crosse (Winnipeg Free Press du 18 avril 1893).

En plus des nombreux clubs de crosse actifs, les fans et la presse sont devenus obsédés par ce sport. Dans les années 1880, il y avait régulièrement 5 000 spectateurs et plus aux parties de crosse, et il n'était pas inhabituel d'en voir jusqu'à 10 000. La presse de l'époque rapportait avec grand soin non seulement la tenue et le score des parties récentes, y compris la description de leur déroulement, mais aussi les activités lors de réunions et des assemblées de crosse. Le message commun répété mille fois était la référence à la crosse à titre de «Sport national du Canada». La presse canadienne savait qu'il s'agissait là du sport le plus important aux yeux de ses lecteurs.

Parmi les nombreuses réalisations de la crosse à cette époque, notons une innovation dans la présentation de ce sport à ses fans. En août 1880, au stade de crosse Shamrock de Montréal, s'est disputée une des premières parties de crosse en soirée, sous les feux de la nouvelle «lumière électrique». Pour que les spectateurs puissent mieux suivre le jeu, dans une deuxième partie, les promoteurs ont décidé de recouvrir la balle de phosphore. Une autre innovation importante a été la notion de présenter d'autres sports comme divertissement pendant les pauses du jeu. La tenue de compétitions ou de démonstrations d'athlétisme pendant la mi-temps des parties de crosse était chose courante.

AU TOURNANT DU SIÈCLE

Au tournant du XXe siècle, la crosse était le sport dominant au Canada. Il y avait d'importantes ligues amateurs et professionnelles dans tout le pays, et des équipes voyageaient régulièrement du Québec à la Colombie-Britannique et vice versa pour briguer la suprématie dans ce sport. À titre d'exemple de cette popularité, en 1910 une équipe de Montréal s'est déplacée jusqu'à New Westminster, en Colombie-Britannique, pour briguer le Championnat du Canada. Plus de 15 000 fans ont assisté à cette partie. Mais à l'époque, la population totale de New Westminster était inférieure à 12 000 personnes!

En 1901, Lord Minto, Gouverneur général du Canada, conscient de ce que signifiait ce jeu pour le public du Canada, a donné une coupe en argent pour qu'elle devienne le symbole du Championnat amateur senior du Canada. La coupe Minto, qui récompense aujourd'hui la suprématie dans les rangs juniors, demeure un des prix les plus prisés en crosse. La compétition intense pour la suprématie de crosse dans la catégorie senior au Canada a mené à la prédominance des équipes professionnelles, si bien que la coupe Minto est bientôt devenue le trophée des ligues professionnelles. En 1910, Sir Donald Mann, architecte en chef du Chemin de fer Canadien du Nord, a fait don d'une coupe en or massif pour le Championnat senior amateur du Canada. Lors de ce don, en 1910, on a estimé la valeur de la coupe Mann à 2 500 dollars de l'époque. Aujourd'hui, la coupe Mann est un des trophées les plus beaux et les plus précieux de tous les sports, qui récompense le vainqueur du Championnat canadien senior «A» de crosse en enclos. Ce sport était si populaire que des personnalités comme P. D. Ross, propriétaire et rédacteur en chef du Ottawa Journal, a donné des trophées pour les compétitions de la région d'Ottawa. La coupe Ross, donnée pour la première fois en 1906 pour le Championnat de la région d'Ottawa, a été dédiée par l'ACC à titre de trophée pour la crosse au champ senior masculine.

La crosse figurait au programme des Jeux olympiques de 1904 et de 1908, car ce sport était très populaire aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. Les Jeux olympiques de 1904 ont été les premiers Jeux olympiques auxquels le Canada a envoyé une délégation. Et la crosse, partie intégrante de la vie communautaire du Canada, lui a donné une de ses premières médailles d'or olympiques. À cette époque, le pays hôte déterminait en grande partie le programme olympique. Par conséquent, quand ce fut au tour de l'Europe d'organiser les Jeux, la crosse, qui était moins populaire sur ce continent, a été retirée du programme de la compétition. Mais, même si sa carrière de sport olympique n'a pas été très longue, la crosse demeure encore aujourd'hui le seul sport d'équipe dans lequel le Canada a remporté davantage de médailles d'or que le reste du monde combiné.

La technologie en pleine évolution et les changement sociaux ont beaucoup influencé la société au début du XXe siècle. L'avènement de l'automobile à titre de moyen de transport peu onéreux, le désir de quitter les grandes villes en été, et la croissance des sports de masse comme le base-ball et le golf ont instauré un climat difficile dans lequel un sport d'été devait lutter pour obtenir de l'attention et des adeptes. De plus, il était difficile de promouvoir la participation au niveau des jeunes dans les écoles car la saison de compétition se déroulait pendant les vacances d'été. Cependant, au-delà de ces problèmes circonstanciels, le défi le plus épineux était posé par la montée du professionnalisme dans le sport.

De 1880 à 1915, la crosse, qui était manifestement le sport le plus populaire du pays, se trouvait de plus en plus en conflit avec les valeurs et les moeurs sociales de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Dès les années 1880, l'intrusion du «professionnalisme» dans le sport est devenue un problème au sein des organisations, et entre les organisations et une société qui dénigrait de telles activités par rapport à l'idéal de l'amateurisme. Des articles parus dans la presse en mai 1880 se référaient au professionnalisme comme une «plaie» dont la «présence nuisible s'est pleinement déclarée» (Toronto Star du 25 mai 1880).

Le professionnalisme était devenu un enjeu si important pour le sport qu'à la fin des années 1880, l'Association nationale de crosse amateur, divisée, s'est scindée en un organisme professionnel, l'Union nationale de crosse, et un organisme amateur, l'Association canadienne de crosse. Même si ces deux organismes ont continué à être en compétition l'un avec l'autre, la ligne de front entre les deux était clairement délimitée. Quelques années plus tard, une deuxième ligue professionnelle a vu le jour : l'Union de crosse du Dominion.
Au début, le statut professionnel des athlètes ne constituait pas un problème important car leur rémunération n'était pas très élevée. Cependant, au fur et à mesure que le sport s'épanouissait, l'importance des joueurs professionnels au sein des équipes grandissait, et éventuellement, toutes les équipes professionnelles ont créé une demande de salaires plus élevés et de meilleurs avantages sociaux. David Saveleiff, dans sa monographie de 1972 sur l'histoire de la crosse en Colombie-Britannique, a noté qu'en 1908, le joueur moyen gagnait jusqu'à 100 dollars par saison et que les étoiles pouvaient atteindre jusqu'à 1000 dollars par an. Cyclone Taylor, le fameux athlète prolifique dans plusieurs sports, a gagné près de 2000 dollars cette année-là en jouant pour les Salmonbellies de New Westminster. En 1917, Newsy Lalonde a gagné plus de 3 000 dollars en jouant pour Vancouver.

Le sport de crosse, qui était des années en avance de son temps en terme de professionnalisme, a institué en vertu et en norme une pratique en conflit direct avec l'opinion prépondérante de la société de l'époque qui reflétait encore les idéaux victoriens d'amateurisme et d'excellence sportive gratuite pour l'amour du sport. Les tiraillements au sein de l'Association des gymnastes amateurs de Montréal (AGAM), visant à résoudre le problème que la crosse était le seul sport «professionnel» de l'organisation, illustrent bien la nature de cette controverse. Cela a mené à d'importants différends entre les diverses factions de cet organisme, si bien qu'en 1920 le Club de crosse de Montréal, qui faisait partie de l'AGAM et qui était un des fondateurs du sport de crosse, était si limité et pénalisé par cet organisme à cause de son professionnalisme qu'il ne pouvait plus concourir dans aucune ligue (AGAM, procès-verbaux, 1911 à 1920).

L'AVÈNEMENT DE LA CROSSE EN ENCLOS

En 1925, les organisateur de crosse de tout le pays ont commencé à se rendre compte qu'il fallait qu'ils collaborent et qu'ils soient solidaires les uns des autres pour que le jeu de crosse soit revitalisé. L'Association canadienne de crosse amateur a été re-créée cette année-là, tous les volets de ce sport étant unifiés sous une bannière unique. La coupe Mann a été attribuée à l'équipe championne senior du Canada, et la coupe Minto à l'équipe championne junior. Malheureusement, les années de guerre, les nouvelles libertés offertes par la technologie et l'attraction de la nature ont grugé dans le réservoir d'athlètes disponibles, si bien que la crosse a continué à avoir des problèmes au niveau de la participation.

Les années 1930 ont à nouveau apporté leur lot d'innovations au sport. Les promoteurs ont commencé à envisager des alternatives au jeu de crosse au champ. La popularité du hockey grandissait et les promoteurs, pour rentabiliser au maximum leurs installations sportives d'hiver, ont allié les deux sports les plus populaires, la crosse et le hockey, et inventé la crosse intérieure, aussi appelée crosse en enclos. Ce nouveau sport axé sur la vitesse et l'action a bientôt recueilli un appui massif au sein de toute l'organisation. Dès le milieu des années 1930, la crosse au champ avait été complètement remplacée par la crosse en enclos, et cette version de la crosse est devenue le sport officiel de l'Association canadienne de crosse. Peu après, personne au Canada ne jouait plus à la version originale du jeu de crosse.

Alors que le Canada tournait le dos à la crosse au champ, ce sport devenait de plus en plus populaire et connaissait une croissance rapide au sud de la frontière et outremer. La crosse, introduite aux États-Unis dans les années 1870, avait continué à progresser et à se faire accepter sur la côte est. Les conditions météorologiques plus favorables ont contribué à faire prospérer la crosse dans les établissements académiques, et surtout au sein de la ligue des huit universités privées du nord-est, ainsi qu'à titre de sport pratiqué au printemps. En Angleterre, la passion pour ce sport canadien présenté au cours des années 1870 s'est maintenue, et suite aux parties de démonstration jouées devant la reine Victoria, la crosse est devenue un sport des classes supérieures très bien accueilli dans les écoles et les universités privées. Un des autres foyers intenses de la crosse est l'Australie. Ce sport, importé de Grande-Bretagne, a pris racine dans ce pays et il y est demeuré populaire au cours des années 1880 et 1890. Donc, à l'extérieur du Canada, des fervents du sport ont adopté avec passion notre jeu national, et tandis qu'ils pratiquaient la version traditionnelle du jeu, la crosse en enclos devenait la passion au Canada.

LA CROSSE MODERNE

Depuis beaucoup plus qu'un siècle, le jeu de crosse a évoqué le caractère unique et individuel du Canada à titre de nation. Il a joué ce rôle en grande partie parce que le gouvernement, les historiens, les auteurs et la communauté sportive ont eu la volonté de l'utiliser comme symbole du Canada. Il est accepté dans le monde entier comme une partie intégrante de la culture et de l'histoire du Canada.

Au fil des ans, la participation en crosse a eu ses hauts et ses bas. Même si ce jeu a connu une forte croissance vers la fin des années 1880, la participation a décru dans les années 1920, et ce, jusqu'à l'introduction de la crosse en enclos. Et même si ce sport a beaucoup progressé depuis, il a encore eu des hauts et des bas, mais, à l'approche des années 1990 et pendant toute cette décennie, toutes les versions de la crosse ont connu une progression exponentielle. Actuellement, plus de 100 000 joueurs sont inscrits à Crosse Canada.

Aujourd'hui, Crosse Canada reconnaît trois disciplines distinctes du jeu de crosse, à savoir : la crosse en enclos, la crosse au champ, et la crosse féminine. La crosse en enclos, que nous avons toujours supporté à titre de nation, constitue le volet le plus important de la crosse sur le plan canadien. La crosse au champ, qui est le jeu traditionnel, est dominé sous tous ses aspects par les Américains, bien qu'il soit aussi pratiqué en Grande-Bretagne, en Australie et dans d'autres pays.

La crosse féminine est très populaire au Canada, en Grande-Bretagne, au Japon, en Australie et aux États-Unis. Elle est demeurée très proche de la version traditionnelle du jeu de crosse. Par contre, la crosse au champ (masculine) est une version modifiée par rapport au jeu original, si bien que la crosse masculine et la crosse féminine ne se ressemblent pas beaucoup en ce qui concerne les règlements de jeu et la stratégie. Le jeu masculin est un sport de contact dans lequel les participants portent de l'équipement protecteur et où les joueurs sont très spécialisés. Le jeu féminin est un sport sans contact où les joueuses ne portent aucun équipement protecteur (en fait, on dissuade même les joueuses de porter un tel équipement). Le jeu met l'accent sur le mouvement de la balle et les joueuses doivent être polyvalentes.

Le Championnat du monde de crosse, qui a lieu tous les quatre ans, est très important pour le Canada. Au cours des années 1960 et 1970, la principale difficulté était que les autres pays jouaient à la crosse au champ alors qu'au Canada on pratiquait la crosse en enclos. Donc, lors des premiers championnats du monde, Crosse Canada a été forcée de convertir ses meilleurs joueurs de crosse en enclos en joueurs de crosse au champ, et de faire de son mieux.

Ces efforts ont culminé en 1978, alors que, contre toute attente, l'équipe canadienne a causé toute une surprise en battant la puissante équipe américaine en finale du Championnat du monde. Depuis la création du Championnat du monde, c'est la seule fois où les Américains ont été battus pour le titre mondial. Après avoir subi une défaite écrasante par 24 buts à 3 contre les États-Unis lors de la première partie du tournoi à la ronde, les Canadiens qui ne s'avouent jamais vaincus ont réussi l'exploit de remporter la finale de ce Championnat sur la marque de 17 buts à 16.

Cette victoire a engendré un renouveau de l'intérêt et de la participation à la crosse au champ et à la crosse féminine au Canada. La résurgence de ces jeux a produit une forme de crosse unique au Canada. La combinaison de technique, de patience et de stratégie du jeu pur de la crosse au champ, alliée à la vitesse et à la réaction de la crosse en enclos ont façonné au Canada un type de jeu de crosse qui le distingue du reste du monde.

Il y a maintenant des douzaines de pays qui pratiquent la crosse : en allant des États-Unis, l'Australie, l'Angleterre, l'Écosse et le Pays de Galles jusqu'aux (relativement) nouveaux venus  comme la Belgique, la République tchèque, le Danemark, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Japon, Singapour, la Suède, et ainsi de suite. L'équipe nationale iroquoise, une équipe nord-américaine autochtone, participe au Championnat du monde masculin sous la bannière d'une équipe nationale «distincte».

La crosse revient au premier plan, et son accroissement actuel, ainsi que l'augmentation de sa popularité, ne présentent aucun signe de ralentissement.

CONTRIBUTION AU SPORT AU CANADA

L'Association nationale de crosse, formée en 1867, était le premier organisme national directeur de sport complètement voué à la gouvernance d'un sport, à la normalisation de ses règlements et de ses compétitions, et à l'organisation d'un Championnat national visant à promouvoir une bonne camaraderie et l'unité dans tout le pays.

À cause de sa nature de grand pays peu peuplé, le Canada a été une des premières nations à s'intéresser à la notion de Championnat national. L'Association nationale de crosse était le premier organisme pouvant et souhaitant organiser une telle compétition, créant ainsi un précédent dans le sport moderne. Cet événement non politique à vocation sociale permettait de rapprocher les diverses régions du Canada. De même, l'ANC à été la première à lancer la notion d'une série normalisée de règles sur le plan national, dont le maintien et la mise à jour seraient assurés par l'organisme directeur.

Les organisateurs de crosse ont accepté très tôt le principe que ce sport s'adresse à tous les participants. Cette participation n'était pas donc limitée par le statut économique ou social, et elle tenait compte du besoin égal des hommes et des femmes de pratiquer le sport. Par conséquent, le docteur Beers a élaboré une série de règles qui permettaient aux femmes, encore limitées par les normes sociales de l'époque, de jouer à la crosse.

En plus de promouvoir leur propre sport, à l'époque les organisateurs de crosse ont offert aux autres sports une tribune leur permettant de mettre en valeur leur attrait populaire. En effet, il était fréquent que d'autres sports soient présentés pendant la mi-temps des parties de crosse, et souvent, lors d'occasions spéciales, les organisations communautaires de crosse soutenaient des compétitions d'autres sports.

La communauté de crosse, intelligente et compatissante, a produit directement de nombreuses autres innovations sociales et technologiques. La notion de partie des étoiles a émergé dès les début des années 1880, l'Ontario lançant un défi au Québec à l'occasion d'une partie annuelle. Par ailleurs, quand la ville de Memphis, au Tennessee, a été décimée par une épidémie de fièvre jaune, des clubs de crosse de l'Ontario et du Québec ont organisé des parties de démonstration pour collecter des fonds afin d'aider à alléger les souffrances de cette ville américaine. En outre, nous avons déjà mentionné les premières tentatives des promoteurs d'utiliser la technologie dernier cri de l'électricité.

La passion et l'enthousiasme des fervents de la crosse pour la création d'un organisme directeur de sport se sont communiquées à d'autres sports. Le Club de crosse de Montréal s'est joint au Club de raquette à neige de Montréal pour former un des organismes sportifs les plus importants de l'histoire de notre pays, l'Association des gymnastes amateurs de Montréal. L'ancienne ministre d'État, l'honorable Iona Campagnolo, a reconnu l'importance à grande portée de cet organisme en déclarant : «Elle (l'AGAM) s'est avérée le principal moteur derrière l'organisation de beaucoup de sports de ce pays. Notamment, ses membres ont été responsables de la création de la Canadian Wheelmen's Association, de l'Association canadienne de hockey et de l'Association canadienne de rugby football.» Le sport au Canada, Lindsay, P.C., 1977

LE SPORT NATIONAL DU CANADA

La crosse est connue depuis 1859 comme le Jeu national du Canada.

En 1925, A.E.H. Coo, président de l'Association canadienne de crosse amateur se réfère non seulement à la crosse à titre de jeu national d'été du Canada, mais aussi au hockey comme l'autre jeu national du Canada.

En 1967, le très honorable Lester B. Pearson, Premier ministre du Canada, qui était lui-même un joueur de crosse accompli, a suggéré lors des débats relatifs à la confirmation de la crosse à titre de Jeu national du Canada à la Chambre des communes que le Canada devrait avoir un Jeu national d'été (la crosse) et un Jeu national d'hiver (le hockey). Même si on a débattu de la crosse et du hockey à plusieurs occasions, le débat n'a pas été clos.

Le Canada a organisé ses premiers Jeux olympiques en 1976. En grande pompe, le Canada s'est exposé au monde entier, et il s'est servi des Jeux pour mettre en valeur l'essence du pays. La pièce de dix dollars commémorative des Jeux olympiques arborait une partie de crosse disputée par des Autochtones nord-américains. La crosse était le seul sport non olympique à être représenté ainsi, parce qu'il est un symbole du Canada.

En 1978, la crosse était un sport de démonstration aux Jeux du Commonwealth à Edmonton, et la médaille remise proclamait qu'il s'agissait du jeu national du Canada.

Le 8 février 1994, Nelson Riis a présenté à la Chambre des communes un projet de loi privé (C-212) visant à reconnaître le hockey à titre de sport national. Cependant, un soutien substantiel pour la crosse a conduit à l'introduction d'un amendement à ce projet de loi (proposé par l'adjoint parlementaire au ministre du Patrimoine canadien), qui a été adopté à l'unanimité.

Le 12 mai 1994, le projet de loi C-212 ainsi modifié a reçu la sanction royale et est devenu loi : «Pour reconnaître le hockey sur glace à titre de Sport national d'hiver du Canada et la crosse à titre de Sport national d'été du Canada».

Ce décret est connu sous le nom de «Loi sur les sports nationaux du Canada». La reconnaissance de la crosse en 1994 à titre de sport national d'été du Canada est la réaffirmation de l'importance de la contribution des Autochtones nord-américains au développement de notre société et de notre culture, la reconnaissance par le gouvernement canadien de l'importance de ce sport pour notre pays, et la confirmation de notre fierté pour ce jeu que nous avons diffusé dans le monde entier. Le Canada est le produit d'une évolution qui a commencé par les Autochtones et qui s'est poursuivie par la colonisation européenne. Ce sont les efforts combinés de ces deux entités qui ont permis le développement du pays. Un volet de ce développement est l'invention du sport national d'hiver du Canada, le hockey sur glace.

Également en 1994, la crosse était sport officiel de démonstration aux Jeux du Commonwealth, ce qui illustrait encore une fois son importance pour le Canada. Postes Canada a émis à l'occasion de ces Jeux un timbre représentant la crosse, un autre signe de l'importance accordée à ce jeu dans notre pays.

RÉSUMÉ

Le sport de crosse fait intrinsèquement partie de la culture, de la tradition et du patrimoine canadiens. La reconnaissance de la crosse en 1859 à titre de Jeu national du Canada est une confirmation positive des contributions de ce sport au développement du pays. L'adoption du projet de loi C-212 par le gouvernement du Canada illustre bien la nature et la constance du plus vieux sport du Canada, la crosse.
Et cela, nous le devons aux peuples des Premières nations - et au Créateur.

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